Paris - 20/2/2004. La
catégorie des trails de moyenne cylindrée, autrefois florissante, est
aujourd'hui en pleine mutation. Alors que les trails monocylindres
disparaissent, les constructeurs proposent surtout des trails de
grosses cylindrées, des machines à la polyvalence remarquable mais
lourdes et chères.
Où sont donc ces motos abordables et légères qui permettaient de tailler la route et de découvrir les chemins de traverse ?
Suzuki
tente de renouveler le genre avec une offre alléchante : le formidable
bicylindre de la SV650 dans une partie cycle dérivée de l'excellent DL
1000. Beaucoup d'amateurs de trails rêvaient depuis un moment de cette
association. Va-t-elle satisfaire les nostalgiques du trail
monocylindre ou séduire les amateurs de routières ?
La moto est assez imposante. Presque autant que sa grande soeur, la DL 1000 (lire Moto-Net du 14 juin 2003).
Impression renforcée par un avant assez massif. Mais elle paraît plutôt
basse pour un trail : on sent que l'orientation est résolument
routière. Avec mes 1m87, j'ai toujours du mal à juger de la hauteur de
selle d'une moto mais celle-ci semble plutôt raisonnable et les pieds
sont bien à plat par terre.
Une
fois en selle, le guidon large, l'imposante bulle et son pare-brise
situé très en avant donne vraiment l'impression d'une grosse moto.
D'autant plus qu'on est assis assez en arrière : pour un peu j'aurais
presque l'impression d'être au guidon d'une GT ! Je m'attendais à une
position plus typée "tout terrain", là c'est vraiment "confort".
Sur
la route, la prise en main est facile grâce à un moteur et une boîte à
l'agrément exceptionnel. On retrouve toutes les qualités du SV : le
moteur est vif, plein de caractère tout en restant docile même aux bas
régimes, et il émet une sonorité sympathique à l'accélération. Les
changements de vitesse se font tout en douceur et l'embrayage est même
plus progressif que sur un SV, ce qui correspond bien à l'esprit trail.

A
basse vitesse, la moto est bien équilibrée et le rayon de braquage est
vraiment très court. En ville, on oublie vite l'imposant carénage pour
se faufiler dans le trafic sur un filet de gaz. Il y a même des feux de
détresse pour remonter les files sur le périphérique : de loin, on doit
me prendre pour une BMW ! D'ailleurs, le tableau de bord est très
complet et bien plus lisible que celui des premiers DL 1000. Très
pratique pour garder un oeil sur sa vitesse et déjouer les radars !

Après
ce test urbain, il est temps de s'évader pour trouver d'autres terrains
de jeux. Deux sacoches cavalières et un sac accroché sur le superbe et
spacieux porte bagages en alu (c'est du costaud et les crochets sont
pratiques, un bon point si on veut voyager) et hop : direction les
Ardennes par l'autoroute A4.
En
croisant à 140, j'ai presque l'impression d'être dans une voiture (sans
chauffage !). La selle est confortable avec un dosseret qui maintient
bien, la protection aérodynamique est franchement excellente, juste
quelques remous en haut du casque pour un grand échalas comme moi, mais
on peut relever la bulle de 50 mm à condition de sortir les outils. Et
tout ça presque sans vibrations. C'est vraiment une petite GT qui vous
emmènera très loin sans fatigue.


A
160, c'est toujours le grand confort et on dispose encore d'une bonne
réserve de puissance. Au-delà, le moteur s'essouffle un peu car la 6ème
est très longue. Cela préserve certainement le moteur sur autoroute
mais on pourra sans doute enlever une dent au pignon de sortie de boîte
pour une utilisation plus "dynamique". Avec les bagages, je plafonne
entre 180 et 190 compteur (sur la portion allemande de l'A4, bien
entendu). C'est relativement modeste pour les 76 chevaux de la moto,
mais c'est sans doute la conséquence de la très bonne protection.
En
tout cas, c'est largement suffisant par les temps qui courent ! Bon
point également pour les rétroviseurs : le champ de vision est bien
dégagé et ils ne vibrent pas. Après 220 km, le voyant de réserve
clignote. Il est temps de passer à la pompe et de se réchauffer un peu,
car la température est à peine au-dessus de 0°C et mes doigts sont très
engourdis (la DL650 est malheureusement privée des protège-mains de sa
grande soeur DL 1000).

17
litres de plus dans le réservoir, soit une consommation de près de 8
litres aux 100. Un peu élevé, mais je suis chargé et je n'ai pas
traîné. Avec la capacité de 22 l, il restait largement de quoi faire
plus de 50 km. La jauge à essence est précise et bien calibrée.
Il
est maintenant temps de quitter l'autoroute pour rentrer dans le vif du
sujet : la traversée des Ardennes, de Charleville-Mézières à
Luxembourg. La plupart des motards parisiens l'ignorent, mais voilà un
magnifique terrain de jeu situé à peine à 200 km de la capitale. Nos
amis belges ne s'y trompent pas et on en croise beaucoup dans le coin.
De Réthel à Charleville, ça commence par de petites routes qui font à
peine de la largeur d'une voiture, bosselées et à moitié recouvertes de
boue. De la route à trails, quoi !
D'emblée,
je sens bien la moto. On dose facilement les gaz, pas de réactions
brutales au rétrogradage. Elle tourne d'un bloc et se met à glisser de
façon progressive quand on atteint la limite d'adhérence. Les
suspensions préservent le confort sans être molles, la moto est bien
amortie et ne rebondit pas. Le freinage manque de mordant par rapport à
une routière, mais ça devient un avantage sur ce genre de terrain. On
peut freiner de l'avant sans craindre de bloquer la roue trop
facilement quand l'adhérence est précaire. Tout à fait dans l'esprit
trail. En fait, la moto se fait oublier et je me surprends à hausser
naturellement le rythme. Mais il faut prendre garde à l'excès de
confiance, car entre les bouses et les tracteurs, ces routes sont
particulièrement traîtresses !

Après
Charleville, les Gorges de la Meuse offrent de magnifiques virages.
Dans une montée aux voies dédoublées et bien revêtue, je peux envoyer
du gros gaz : la moto vire sur l'angle sans broncher et là, il pourrait
y avoir quelques chevaux de plus... mais pour ça il y a le DL 1000 !
Au
passage de la frontière belge, la route devient plus étroite, bosselée
avec de méchants raccords de bitume. Les suspensions ont fort à faire
et ça chahute pas mal ! Si je maintiens le rythme, la fourche montre
ses limites sur les freinages. La roue avant rebondit et il faut
sérieusement empoigner le guidon pour tenir la bête. Dans ce cas, je
regrette la position un peu trop GT et j'aimerais être assis plus en
avant. De même, l'arrière se balade un peu à la réaccélération. La moto
n'est pas aidée par les pneus Bridgestone Trailwing d'origine qui,
s'ils réagissent de façon progressive, n'offrent pas un grip
phénoménal.

Mais
il s'agit quand même là de conditions un peu extrêmes. L'important,
c'est que la moto reste toujours saine et réagit de façon progressive.
On est en confiance et on peut vraiment s'amuser à son guidon. Et bien
menée, elle peut certainement en remontrer à bien des motos plus
prestigieuses sur ce genre de routes !
De
Bouillon (magnifique cité médiévale au bord de la Meuse) à Luxembourg,
ce sont de belles nationales vallonnées où les grandes courbes
s'enchaînent. Sur ce type de routes assez roulantes, on profite au
maximum du caractère bien plein du twin et de sa sonorité sympathique.
L'agrément est nettement supérieur à un trail monocylindre. Je refais
le plein à Luxembourg et la consommation sur route s'établit à environ
7 litres aux 100. Mais quel plaisir de payer le 95 au prix du gazole
chez nous !
C'est
aussi l'occasion de détailler la moto. Le look ne surprend pas
puisqu'il est largement inspiré du DL 1000. Même si tous les goûts
existent dans la nature, il faut admettre que l'esthétique n'est pas
vraiment son point fort... Si l'avant très massif manque de grâce, il a
au moins le mérite d'afficher une certaine personnalité. Mais l'arrière
est vraiment lourdingue : flancs taillés à la serpe, garde-boue arrière
grossier, et les doubles pots pourtant réussis du DL 1000 ont été
remplacés par un gros silencieux placé à droite. Le bras oscillant est
bien en alu mais les supports de repose-pieds passagers, en tubes
d'acier peints en noir, ne sont pas très flatteurs même s'ils sont
parfaitement fonctionnels. Seul le beau et robuste porte bagage en alu
intégrant de larges poignées passager sauve l'honneur.





De
même, on ne peut qu'apprécier la bulle réglable en hauteur, tout comme
le tableau de bord lisible et très complet : 2 trips, horloge, jauge a
essence, température d'eau, feux de détresse. Mais on aurait aimé un
antidémarrage à clé codée. La poignée de frein est réglable à quatre
positions mais pas l'embrayage... et comme il est très éloigné, mieux
vaut avoir de grandes mains !
La
serrure pour libérer la selle est située sous le feu arrière, ce qui
s'avère pratique à l'usage mais comme souvent avec les trails, la place
sous la selle est très limitée : on y logera un mini U et en forçant
bien une légère combinaison de pluie. La trousse à outils est complète
mais de la qualité habituelle, c'est-à-dire très médiocre (en
particulier la pince, juste bonne pour la poubelle !). L'amortisseur
est réglable en précharge par une grosse molette très accessible. Pas
d'autre réglage de suspension, ce qui n'est pas choquant sur une moto
de ce type. En dehors de quelques économies contestables, la finition
est bonne et plutôt en progrès pour une Suzuki, en particulier la
peinture. A noter toutefois le mauvais ajustage des plastiques de la
bulle.


Finalement,
la seule véritable fausse note côté équipement est l'absence de
béquille centrale. Et pour ceux qui voudront tâter des chemins, il
faudra prévoir une protection pour le moteur. Car c'est un cadre ouvert
et le radiateur d'huile, le filtre à huile et l'échappement sont aussi
exposés que sur un SV ! Un sabot robuste s'impose avant toute tentative
de franchissement, d'autant que la garde au sol est quand même assez
basse. Malheureusement, Suzuki ne prévoit rien de ce genre en option.
Pour
vérifier si le DL650 mérite son nom de trail, j'emprunte les nombreux
chemins de terre qu'on trouve dans le nord du Luxembourg. Il s'agit de
pistes roulantes bien entendu, pas de véritable tout-terrain. Il faut
garder à l'esprit qu'avec ce genre de trails routiers multicylindres,
si la moto commence à partir il n'y a aucune chance de la rattraper et
il vaut mieux la laisser tomber (c'est d'ailleurs ce que BMW enseigne
dans ses stages tout-terrain). Résultat : tout se passe bien grâce au
moteur docile à bas régime, à l'embrayage progressif et à la partie
cycle bien équilibrée. Même la position debout est assez agréable.
C'est seulement quand on veut se rasseoir qu'on tombe invariablement
sur le réservoir !
Le
duo est également très agréable, avec des repose-pieds situés assez bas
et de larges poignées de maintien bien placées. Mais c'est probablement
le seul usage pour lequel le DL 1000 est probablement plus indiqué.
Le
retour à Paris, de nuit, permet de vérifier la qualité de l'éclairage :
le faisceau est très large en code et éclaire bien les bords de la
route. En pleins phares, le faisceau éclaire loin mais il est trop
focalisé et laisse les côtés dans l'ombre. Mais quel progrès par
rapport aux motos d'il y a seulement cinq ans !

Au
final, le bilan est largement positif. Face à une Transalp
fonctionnelle mais un peu soporifique, la DL 650 rajeunit le concept
des trails de moyenne cylindrée. Elle est vraiment de la race de celles
qui savent tout faire : pratique pour aller au boulot tous les jours,
joueuse pour s 'amuser en balade le week-end, confortable et endurante
pour vous emmener au bout de l'Europe si vous le souhaitez ! En tout
cas, ce n'est en aucun cas une DL 1000 au rabais. Elle est même plus
homogène et plus facile. La DL 650 peut aussi concurrencer les
routières de moyenne cylindrée comme la Fazer ou la nouvelle Honda
CBF600.
Mais
curieusement, cette polyvalence pourrait dérouter les acheteurs : en
faisant son choix, le motard est souvent aussi en quête d'identité et
il apprécie que sa machine reflète sa conception de la moto. Les motos
trop polyvalentes brouillent les cartes et il leur faut une forte
personnalité, en particulier esthétique, pour s'imposer (comme par
exemple les TDM, VFR ou R1150GS).
Or
c'est loin d'être le cas de cette V-Strom. On sent que son cahier des
charges a été fortement inspiré de certaines motos bavaroises dont la
fonctionnalité prime sur le look, mais Suzuki n'est pas BMW et le
résultat manque cruellement de personnalité. Suzuki avait déjà fait le
coup avec la Freewind, copie fadasse de la BMW F650, qui était en fait
une excellente moto.
Là
encore, cette moto ne satisfera que ceux qui sauront voir ses qualités
dynamiques et pratiques et pourront oublier son manque de séduction. En
somme, c'est une moto d'initiés...
Fiche technique (données constructeur) |
Moteur |
Type | Bicylindre en V, 8 soupapes, refroidissement liquide |
Cylindrée | 645 cc |
Alimentation | Injection 39 mm |
Boîte de vitesse | 6 rapports |
| |
Partie cycle |
Cadre | Périmétrique en aluminium |
Suspension AV | Fourche télescopique, compression réglable |
Suspension AR | Mono amortisseur réglable |
Pneu AV | 110/80R 19 M/C |
Pneu AR | 150/70R17 M/C |
Frein avant | Double disque 310 mm, étriers 2 pistons |
Frein arrière | Simple disque 260 mm |
| |
Dimensions |
Longueur | 2 290 mm |
Hauteur de selle | 820 mm |
Garde au sol | 165 mm |
Empattement | 1 540 mm |
Réservoir | 22 litres |
Poids à sec | 189 kg |
| |
Informations commerciales |
Coloris | Bleu, noir, gris |
Prix | 7 469 € |
Précisions
Un
lecteur particulièrement vigilant nous a signalé que la petite V-Strom
ne développait que 67ch et non 76ch comme nous l'avions mentionné. Fort
de mes bonnes impressions d’essai, j’avais supposé un peu vite que la
DL650 développait la même puissance que la SV650, c’est a dire 76ch. Je
m’étais pourtant étonné de la vitesse de pointe un peu faible pour une
telle puissance et du caractère plus rond et plus docile du moteur
comparé à celui de la SV650.
Or
c’est notre lecteur qui a raison ! Suzuki a retravaillé le moteur avec
de nouveaux arbres à cames, une nouvelle admission, une cartographie
d’allumage et d’injection modifiée pour favoriser le couple et la
puissance en bas. Du coup, la puissance maxi diminue et développe tout
juste 49kW, soit 66.6chevaux. à 8 800 t/mn. Mais le couple maxi
progresse à 60Nm.
Cela ne
change rien aux qualités de cette moto. Suzuki a fait le bon choix pour
un trail en favorisant la facilité d’exploitation plutôt que la
puissance pure. Il est par exemple assez facile de bloquer la roue
arrière au rétrogradage sur une SV650, alors que ça ferait plutôt
désordre sur la V-Strom, qui impressionne favorablement par sa vitesse
maximum et ses performances !
En
revanche, je n’ai pas ressenti de vibrations anormales pour un twin.
Peut-être notre lecteur est il un habitué des 4 cylindres ?
D’autres
lecteurs regrettent que ce trail soit trop routier, loin de l’esprit
"dual sport" des premières XT ou DR. Je partage ces regrets, mais nous
avons souhaité juger cette moto pour ce qu’elle est : un trail routier.
Une suggestion toutefois pour
Suzuki, avant qu'il nous ponde un éventuel clone Kawasaki de la DL650 :
pourquoi ne pas faire plutôt une version dépouillée allégée de 25 kg,
avec un modèle à roue avant de 21 peint en vert typé enduro et un
modèle à roue avant de 17 avec gros freins et moteur de SV, peint en
orange typé supermot’ ?
Enfin,
le prix de vente de la DL650 aux Etats-Unis a de quoi écoeurer le
motard français : à 6 600 US$ (soit 5 100 € au taux de change actuel),
la belle coûte carrément 2 300 euros de moins...
Benoît LACOSTE - © MOTO-NET.COM